Conscience ou petite voix intérieure ?

Nous n’allons pas examiner aujourd’hui ce qu’est la conscience (j’en proposerai seulement une métaphore à la fin). Chacun en sait suffisamment pour que l’on puisse directement mettre les pieds dans le plat et tenter de donner un contrepoint à l’émission Grand Bien Vous Fasse d’hier qui était consacrée à notre « petite voix intérieure ».

J’ai été étonné que durant tout le temps où je l’ai écoutée (j’avoue avoir assez rapidement décroché) le mot conscience ne soit pas apparu.

Je me suis demandé comment est-il possible que l’évocation de la « petite voix intérieure » (appellation seulement « grand public » sans valeur savante) ne ramène pas automatiquement à la question de la conscience ? Ne serait-ce que pour faire la distinction dès lors qu’on souhaite parler de quelque chose qu’on considère comme différent de la conscience. Tout le monde peut croire nécessaire d’introduire des différences, mais au moins faut-il en parler et tenter de les justifier.

Il me semble donc qu’ici, dès lors qu’on parle de ce qui a toujours été appelé « conscience », l’absence de ce mot ne peut provenir que d’une volonté délibérée de la taire, donc de l’effacer.

Ce qui voudrait dire que ce mot dérange de quelque manière et il ne faut pas chercher bien loin pour comprendre cela : la conscience est une notion qui reste encore fondamentalement associée à la dimension morale, comme lorsqu’on parle de « mauvaise conscience ». C’est pourquoi il n’est guère surprenant qu’une époque qui privilégie à ce point la zénitude, la pensée positive, new age ou, mieux, la « présence » dénuée de toute pensée, on souhaite tenir à l’écart la trop culpabilisante « conscience » héritée des siècles passés.

Nous avons donc là une excellente illustration de ce processus de dévalement sociétal que le film Don’t look up a si génialement dépeint (et que j’ai commenté dans l’avant-dernier post intitulé « Déni cosmique »).

Ce glissement sémantique s’est probablement opéré grâce à la propension « naturelle » des chercheurs consistant à inventer sa « niche intellectuelle » avec un vocabulaire ou des formulations spécifiques qui délimitent un pré carré qu’on entend ensuite régenter par ses observations, ses analyses et/ou ses expérimentations.

Des spécialistes du langage (essentiellement des linguistes) se sont ainsi polarisés sur ce qu’ils ont appelé la « parole intérieure » sans chercher à la situer dans le champ général de la conscience qui intéresse d’autres spécialistes (philosophes, psychologues, neurologues, etc.). A chacun son pré carré, c’est ça la spécialisation !

Il était facile ensuite de récupérer cette notion dans le cadre d’une vulgarisation qui, en tant qu’elle est journalistique, est toujours en quête de nouveauté.

Sauf qu’il y a maldonne : la « petite voix intérieure » est vieille comme le monde puisque, comme le rappelle Christophe André dans sa chronique, Platon déjà disait que penser c’est se parler à soi-même. Le chroniqueur ira même jusqu’à évoquer l’« esprit conscient » mais cela ne suffira pas à dissiper l’écran de fumée de cette pensée post-moderne qui s’écarte lentement mais systématiquement de la verticale en substituant « cerveau » à « esprit » et « petite voix intérieure » à « conscience ».

Pour qui a des yeux pour voir, il est aisé de reconnaître ici la visée de « naturalisation » de l’Homme (donc son horizontalisation) destinée à convaincre qu’il ne doit rien à la verticale, c’est-à-dire, à la transcendance.

C’est ni plus ni moins qu’un processus d’effacement du passé sacré de l’humanité dont à peu près tout est issu et, en particulier « la petite voix intérieure ». En effet, à l’origine, celle-ci était attribuée aux dieux intervenant dans les affaires humaines afin de guider tel ou tel selon leurs projets divins. Ainsi dans l’Iliade, Achille calme sa colère en écoutant la recommandation de la déesse Athéna.

Certains avancent que notre conception de l’esprit humain découlerait de l’« intériorisation » de ces paroles initialement perçues comme extérieures à soi. De fait, les premières formes de conscience morale verbale chez l’enfant se manifestent par une parole qu’il exprime à haute voix en s’adressant à lui-même comme ses parents le feraient. C’est de l’imitation différée.

Par exemple, un enfant fait tomber un vase et, en reconnaissant le désastre en tant quel, il active l’habitude correspondante, ce qui suscite la mémoire de reproches parentaux déjà entendus que, faute de savoir s’inhiber, il reproduit automatiquement en les vocalisant.
Par la suite, il saura inhiber cette expression orale et se contentera d’entendre cette petite voix morale résonner dans son esprit. Par la suite, encore il pourra dialoguer avec ces paroles et entrer ainsi dans la pensée morale.

Au fond, la conscience n’est que cela : l’agora de nos habitudes qui viennent y prendre la parole dès lors que les circonstances font qu’elles ont quelque chose de supposément pertinent à dire !

Tout la question est alors de savoir « y a-t-il un pilote dans l’avion ? »

Vaste sujet que nous aborderons une autre fois ! 

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